Les propositions du Centre d'Action Laïque pour l'Union européenne
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État de droit
Ces dernières années, un recul important de l’État de droit se constate dans un nombre important d’États européens. Qu’il s’agisse des cas bien connus de la Pologne ou de la Hongrie ou de situations préoccupantes dans d’autres États, en ce compris chez nous en Belgique, le régime des libertés est mis à mal. Le principe de laïcité, condition de démocratie en tant que garantie du respect des droits et des libertés, ne peut être mis en œuvre dans un régime politique qui ne serait pas démocratique.
Pour les laïques, la préservation de l’État de droit et de la démocratie est donc la première préoccupation sur le plan européen. Nous ne pourrons plus promouvoir la laïcité si la démocratie est affaiblie.
Le Centre d’Action Laïque considère donc comme absolument prioritaire de renforcer les instruments européens de lutte contre les atteintes à l’État de droit et à la démocratie. L’arsenal en la matière doit être aussi solide que celui qui permet de sanctionner les États pour la taille de leur déficit public ou le niveau de leur dette.
Concrètement, le Centre d’Action Laïque invite les institutions européennes à:
Mettre en place un mécanisme permanent de monitoring de la démocratie dans les États membres
Le monitoring de l’état de droit, mis en place par la Commission, est un grand progrès pour la promotion de ce principe dans les États membres de l’Union. Ce monitoring devrait être élargi aux droits fondamentaux et à la démocratie. Ce mécanisme permettrait de comparer le respect des éléments essentiels de la démocratie (1):
- Respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, notamment la liberté d’association et de réunion pacifique, la liberté d’expression et d’opinion.
- Le droit de participer à la conduite des affaires publiques, directement ou par l’intermédiaire de représentants librement choisis, de voter et d’être élu dans le cadre d’élections équitables, périodiques et libres, au suffrage universel et égal et au scrutin secret garantissant la libre expression de la volonté populaire.
- Système pluraliste de partis et d’organisations politiques.
- Séparation des pouvoirs.
- Transparence et obligation pour l’administration publique de rendre des comptes.
- Médias libres, indépendants et pluralistes. Garantie de neutralité et pluralisme des médias publics. Médias privés indépendants (cf. plus bas sur lutte contre la concentration des médias)
- Égalité femme-homme, non-discrimination envers les personnes LGBTQIA+
- Droits des femmes, y compris les droits et la santé sexuels et reproductifs.
Les résultats de ce monitoring devront être discutés tant au sein des parlements nationaux qu’au Parlement européen pour ensuite être examinés par le Conseil des ministres de l’Union européenne dans le cadre de son dialogue annuel sur l’état de droit. Le cas échéant, il constituerait une base solide sur le plan juridique et légitime sur le plan politique dans la perspective de l’adoption de sanctions. En tout état de cause, les institutions devraient réagir rapidement à une dégradation de l’état de droit, démocratie et droits fondamentaux.
Le Centre d’Action Laïque propose de:
- Adopter une clause de non-retour en arrière (principe de non-régression) en matière de droits fondamentaux (dans un texte liant les institutions et les États). Toute mesure étatique représentant une régression en matière de droits humains doit faire l’objet d’une réaction des institutions (recours en manquement le cas échéant, mise en œuvre de la conditionnalité).
- Introduire une obligation de réagir des institutions politiques de l’Union en cas de constatation de violations graves.
- Lutter efficacement contre les campagnes de déstabilisation menées par des régimes dictatoriaux. La mise en place d’une commission parlementaire sur ce sujet est une étape essentielle. Ses conclusions doivent être analysées et prises en compte par les institutions.
- En particulier, mieux contrôler les médias d’État de régimes dictatoriaux émettant dans l’Union européenne.
Conditionner l’octroi de budgets européens au respect de la démocratie et de l’État de droit
Le Règlement européen "relatif à un régime général de conditionnalité pour la protection du budget de l’Union", entré en vigueur en 2021, est une grande avancée pour lutter contre les atteintes graves à l’État de droit par les autorités d’un État membre.
Cependant, pour garantir le respect des valeurs de l’Union (article 2 TUE), la conditionnalité devrait être interprétée de manière extensive et être appliquée dans tous les cas de violation grave ou durable de l’état de droit, de la démocratie et des droits humains.
Le Parlement devrait avoir un pouvoir d’initiative pour la mise en œuvre de ce mécanisme de conditionnalité et utiliser son pouvoir de contrôle politique de la Commission pour veiller à son respect.
Concernant la Présidence du Conseil de l’Union européenne, un État contre lequel la procédure de l’article 7 a été mise en œuvre perd son droit de présider le Conseil.
Mieux utiliser les voies judiciaires
Le contrôle judiciaire du respect par les États membres de l’État de droit et des droits fondamentaux semble pour l’instant compliqué dans la mesure où les États membres ne sont liés par la Charte des droits fondamentaux que lorsqu’ils appliquent le droit européen. Cette vision restrictive des compétences judiciaires de l’Union européenne pose question. En effet, le processus d’intégration européenne repose sur une interdépendance croissante qui touche aux fondements de l’ordre constitutionnel de chacun des États membres. La violation par l’un d’entre eux des droits fondamentaux a un impact direct sur les autres.
En outre, le fait de tolérer de telles violations mine la légitimité et l’effectivité des décisions prises en commun. En d’autres mots, intervenir pour protéger l’État de droit ou la démocratie est nécessaire pour protéger le fonctionnement de l’espace d’interdépendance créé par le droit européen.
Le Centre d’Action Laïque salue les grands progrès ayant eu lieu ces dernières années, avec notamment la conditionnalité du budget européen (v. point supra). Cependant, il est possible que l’Union soit plus ambitieuse pour protéger la démocratie et les droits humains en Europe. Le Centre d’Action Laïque invite les responsables européens à examiner toutes les possibilités juridiques pour attraire devant la Cour les États défaillants et à intervenir de façon systématique afin de créer les précédents utiles.
Le Centre d’Action Laïque propose également que la Belgique, éventuellement en accord avec d’autres États, use des voies judiciaires pour protéger les droits fondamentaux en Europe, dans le cadre de recours interétatiques, devant la Cour de justice de l'Union européenne (article 259 TFUE) et la Cour européenne des droits de l’homme (article 33 CEDH), le cas échéant.
Démocratie
Renforcer la société civile
La société civile, dans toute sa diversité, contribue très largement à la concrétisation des valeurs européennes. Elle forme également, à côté des médias, un contre-pouvoir dont la démocratie peut s’enorgueillir.
Dans plusieurs pays européens, la société civile est sous pression. Les politiques d’austérité ont conduit à un affaiblissement des financements publics. Parfois, la société civile est directement mise en cause lorsqu’elle examine de façon critique les politiques gouvernementales.
Le Centre d’Action Laïque formule plusieurs propositions à ce sujet:
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Améliorer le dialogue avec la société civile
La conférence sur l’avenir de l’Europe, lancée en mai 2021 et achevée le 9 mai 2022, a été un exercice inédit de démocratie participative. Le Centre d’Action Laïque demande que les propositions faites à cette occasion ne soient pas ignorées mais soient suivies d’effets dans les politiques de l’Union. Le Centre d’Action Laïque demande plus de transparence et de communication sur les suites que les institutions de l’Union comptent donner aux propositions. Cet exercice devrait être régulièrement répété, en encourageant les contributions plus compètes et élaborées venant d’organisations de la société civile, qui pourraient jouer leur rôle structurant.
- Renforcer la société civile dans les États membres
Les organisations de la société civile sont victimes de pressions diverses. Pour le Centre d’Action Laïque, il est essentiel que l’Union agisse afin de garantir aux organisations de la société civile leur liberté d’action. Nous invitons les institutions à agir dans la ligne de la résolution du Parlement dénonçant "le rétrécissement de l’espace dévolu à la société civile en Europe", centrée sur:
- Une règlementation harmonisée, permettant aux organisations de la société civile de travailler sans crainte de menaces ou d’attaques.
- Plus de transparence et l'absence de discrimination dans les financements publics.
- Un dialogue et une participation civiques dans l’élaboration des politiques.
En outre, nous nous joignons à l’appel du Parlement à "veiller à ce que les fonds de l’Union ne soient accordés qu’à des organisations strictement indépendantes de tout gouvernement et adhérant pleinement aux valeurs de l’Union".
Enfin, le Centre d’Action Laïque salue les efforts du Parlement européen pour faire adopter la directive sur la "Protection des journalistes et des défenseurs des droits de l'homme contre les procédures judiciaires manifestement infondées ou abusives" (SLAPPs) et appelle le gouvernement fédéral à défendre une position audacieuse et protectrice des journalistes et défenseurs des droits pendant les négociations au Conseil.
- Améliorer le mécanisme de l’initiative citoyenne européenne (ICE)
Le traité de Lisbonne a introduit un mécanisme d’initiative citoyenne qui permet selon certaines conditions et moyennant la récole d’un million de signatures, de demander à la Commission européenne d’introduire une proposition sur un sujet relevant de sa compétence.
Aussi louable qu’ait été l’idée, force est d’admettre que ce mécanisme ne fonctionne pas: aucune initiative citoyenne européenne parmi toutes celles qui ont été lancées n’a débouché sur un changement législatif.
La Commission a émis des propositions pour simplifier l’ICE et le Parlement européen a pris position sur ces propositions.
Le Centre d’Action Laïque soutient la révision la plus ambitieuse de cet instrument de mise à l’ordre du jour des débats européens. Cela implique non seulement d’en simplifier la gestion administrative mais également de soutenir les initiateurs dans un souci constructif plutôt que défensif. Le champ d’application des ICE devrait également être étendu car il est pour l’instant conçu de manière extrêmement restrictive par la Commission européenne.
Par exemple, élargir le champ de l’ICE aux questions "constitutionnelles", c’est-à-dire aux traités, permettrait de davantage impliquer les citoyens dans la réflexion sur l’avenir de l’Europe.
Envisager une réforme institutionnelle
Le projet politique européen risque de s’enliser pour longtemps s’il doit en permanence composer entre les national-populistes qui jouent la défense "sociale" de leurs nationaux contre les immigrés et un européanisme béat qui persisterait à ignorer qu’une large partie de la population ne se retrouve pas dans une Europe dont ils estiment être les laissés-pour-compte.
Pour relancer la dynamique politique européenne, l’intégration différenciée permet à un nombre limité d’États qui le souhaitent et le peuvent d’approfondir certaines politiques en laissant aux autres la possibilité de les rejoindre ultérieurement. C’est cette modalité d’intégration qui a permis la mise sur pied de l’espace Schengen ou de l’Euro.
En toute hypothèse, une large réflexion institutionnelle n’est envisageable qu’assortie d’un large débat avec les citoyens de l’Union.
Le Centre d’Action Laïque souhaite que soit initiée au niveau européen une réflexion d’ordre institutionnel en vue de relancer la dynamique européenne. À cet effet, il propose d’envisager les modalités suivantes:
- L'établissement de listes transnationales pour l’élection du Parlement européen.
- L'octroi d’un droit d’initiative législative complet au Parlement européen.
- L'élection du Président de la Commission européenne au suffrage universel.
- Transformation du Parlement européen en parlement bicaméral sur le modèle de nombreux parlements fédéraux dans lequel une chambre représente la population (l’actuel Parlement européen) et l’autre représente les États fédérés (la nouvelle chambre du Parlement serait composée de parlementaires nationaux). Faire siéger des parlementaires nationaux dans une chambre du Parlement européen permettrait de faire reculer l’argument des populistes selon lequel l’Europe imposerait son modèle politique libéral à des nations qui s’en trouveraient affaiblies.
- L'allègement des conditions prévues dans les traités européens pour initier une coopération renforcée, en particulier dans les domaines préoccupant les citoyens et qui sont exploités par les populistes. Il pourrait s’agir des questions de politique sociale, de convergence et coordination économique…
Droits humains
Défendre la liberté de religion et de croyance et les droits des non-croyants
La liberté de religion et de croyance, parfois nommée la liberté de pensée, de conscience et de religion, est un droit fondamental protégé aux niveaux international et européen (2). Il protège la liberté de chacun et de chacune d’embrasser les croyances, religieuses ou non, de son choix. Comme déclaré par le Comité des droits de l’homme de l’ONU (3), il protège également la liberté de ne pas croire, celle de changer ou d’abandonner une religion ou croyance et celle de ne pas être contraint à se convertir contre son gré.
Au cours de la décennie passée, la liberté de religion et de conviction s’est hissée à l’agenda européen. L’Union européenne y a consacré une attention grandissante et s’est dotée d’outils pour la promouvoir à l’extérieur de ses frontières. C’est ainsi qu’en 2013, les institutions adoptaient les Lignes directrices en matière de liberté de religion ou de conviction dans la politique extérieure de l’Union. La Commission européenne a également créé un poste d’Envoyé spécial pour la promotion de la liberté de religion et de conviction à l’extérieur de l’Union européenne en 2016.
Malheureusement, ces instruments aujourd’hui confortent les religions dans la mesure où ils font surtout écho à une tendance croissante relayée par certains groupes religieux et politiques consistant à réduire la liberté de religion et de conviction à la "liberté religieuse" et de l’utiliser à des fins réactionnaires et discriminantes. De nombreuses violations des droits humains sont commises au nom de la "liberté religieuse" et affectent en particulier les femmes, les non-croyants ainsi que certaines personnes en raison de leur orientation sexuelle et/ou de leur identité de genre. Or, si la liberté de religion est bien absolue, ses manifestations peuvent être limitées, notamment pour protéger les droits et libertés fondamentaux d’autrui, et notamment les droits sexuels et reproductifs des femmes et la non-discrimination à l’encontre des personnes LGBTQIA+, des minorités religieuses et des non-croyants.
Le Centre d’Action Laïque recommande de:
- Promouvoir et défendre la liberté de pensée, de conscience et de religion, comme droit fondamental protégé par l’Union européenne.
- Dans cet effort, rappeler en toute circonstance, que cette liberté de conviction inclut la liberté de ne pas croire, celle d’abandonner sa religion et celle d’en changer.
- Développer des normes pour la protection des individus contre le prosélytisme. Contrairement au débat, qui doit être libre et sur un pied d’égalité, le prosélytisme se traduit par des pressions sur une personne pour adopter une certaine religion ou pour suivre les préceptes de sa religion réelle ou supposée. Toute personne est libre de définir son niveau de croyance ou de pratique religieuse et doit être protégée contre les pressions fondamentalistes de se conformer à telle ou telle pratique, dogme ou rite religieux.
- Souligner également que la liberté de religion et de croyance ne peut jamais être utilisée pour restreindre, limiter et menacer les droits et libertés fondamentaux d’autrui, comme le mentionnent les Lignes directrices de l’Union européenne sur la liberté de religion ou de conviction, y compris les droits sexuels et reproductifs, l’égalité des sexes et les droits des personnes LGBTQIA+.
- Réagir systématiquement à l’instrumentalisation de la liberté de religion et de croyance dans les États membres pour limiter ou supprimer les droits d’autrui, y compris les droits sexuels et reproductifs, l’égalité des sexes et les droits des personnes LGBTQIA+.
- Demander une mise en œuvre effective de ces lignes directrices. Cela implique de poursuivre et d’intensifier la formation des délégations diplomatiques européennes et des professionnels de l’Union européenne sur les questions afférentes à ce droit et de veiller à inclure les organisations laïques au sein de cette formation.
- Demander également une évaluation régulière de ces lignes directrices et mettre les résultats à la disposition du public.
- S’assurer que les États membres examinent avec justice et transparence les demandes d’asile des athées, agnostiques et humanistes et octroient protection et asile aux personnes persécutées ou qui risquent de l’être pour cause d’"apostasie" ou "blasphème". Veiller à ce que les autorités compétentes des États membres soient sensibilisées à la situation de ces personnes.
- S’assurer que le mandat de l’Envoyé spécial pour la promotion de la liberté de religion et de conviction inclue explicitement la dimension des non-croyants (athées, agnostiques, "apostats"…). Rendre plus transparent le processus de nomination de l’Envoyé Spécial, en y associant le Parlement européen.
Défendre la liberté d’expression
La liberté d’expression est indissociable de la liberté de pensée et de conscience. Pourtant, dans le monde mais aussi en Europe, les tentatives d’interdiction au nom de la morale religieuse sont encore nombreuses. Or, la liberté d’expression protège les individus et non pas les religions ou les convictions en tant que telles. La liberté d’expression couvre le droit d’exprimer une opinion sur une religion ou une conviction, y compris par la satire.
Il faut clairement distinguer l’incitation à la haine, à la discrimination ou à la violence contre des personnes à cause de leur religion réelle ou supposée, qui est interdite, de la critique d’une idée ou de dogmes religieux, qui est permise.
Dans cette perspective, l’Union européenne a demandé à ses délégations de rappeler ce principe fondamental dans leurs relations diplomatiques avec les États tiers mais aussi de les encourager à dépénaliser l’offense de blasphème et "d’insulte au sentiment religieux".
Si l’Union européenne appelle les États tiers à garantir la liberté d'expression par rapport au fait religieux, elle n’agit pas contre les lois anti-blasphèmes liberticides subsistant encore dans certains États membres (comme en Allemagne, Autriche, Grèce, Pologne ou en Espagne) et États européens associés (Suisse). Le maintien de telles législations au sein de l’Union européenne n’aide évidemment pas à crédibiliser la voix européenne à l’étranger.
Le Centre d’Action Laïque invite les décideurs européens à se positionner résolument en faveur de la liberté d’expression et à demander la fin de la criminalisation du blasphème et de "l’insulte au sentiment religieux" dans le monde, y compris au sein de l’Union européenne.
Dans les instances internationales, les États membres doivent continuer à s’opposer fermement aux tentatives de criminaliser les expressions critiques des religions.
Défendre la liberté et le pluralisme des médias
Le Centre d’Action Laïque invite les instances européennes et les États membres à renforcer leur action en matière de protection de la liberté des médias et de stimulation du pluralisme médiatique. Plus concrètement, il s’agit de:
- Renforcer les mécanismes et organisations de veille actuels et mettre en place un monitoring systématique et indépendant de la liberté de la presse et du pluralisme médiatique dans chaque État membre de l’Union.
- S’assurer que chaque État membre garantisse un espace médiatique équitable et que les mesures nécessaires soient prises afin de lutter contre la concentration des médias et les situations de monopole ou de quasi-monopole.
- Mettre en œuvre une politique européenne de transparence des médias de manière à permettre au citoyen de se renseigner facilement sur la propriété et les sources de financement de médias qu’il consomme.
- Se pencher urgemment sur la question de la sécurité des journalistes afin de garantir à ces derniers la possibilité d’exercer leur métier dans des conditions dignes qui permettent un travail de qualité sans crainte de subir des menaces, harcèlement et pressions financières, économiques et politiques.
- Renforcer la coopération européenne en matière d’éducation aux médias afin de permettre aux citoyens de pouvoir bénéficier des avantages des nouvelles formes de consommation des médias tout en minimisant les risques qui y sont associés.
Migrations et réfugiés
Depuis 2015, la question des réfugiés occupe une place centrale dans l’agenda politique européen. En 2015, puis récemment en 2022, l’Union européenne a fait face à de grands mouvements de réfugiés depuis la Deuxième Guerre mondiale.
Le Centre d’Action Laïque se félicite de l’accueil des réfugiés ukrainiens, mais déplore que cette solution généreuse n’ait pas été mise en œuvre dans le cas de réfugiés venant d’autres continents.
Les réponses apportées par l’Union européenne et ses États membres ont cruellement mis en évidence l’absence d’une véritable politique migratoire européenne. En fermant ses frontières, l’Union a tout mis en œuvre pour garder les réfugiés à sa périphérie. Pire, l’Union, sous des prétextes prétendument humanitaires, a externalisé sa politique d’asile en concluant un accord avec la Turquie et la Lybie ainsi que des pactes migratoires et des accords de réadmission avec plusieurs pays africains. L’Europe ne peut pas fermer les yeux sur les violations graves des droits fondamentaux des migrants commises par les autorités de pays auxquels elle délègue la gestion des flux migratoires.
Dans le même temps, les États sont restés profondément divisés sur l’accueil des réfugiés et n’ont en tous cas pas donné une suite efficace à la proposition de la Commission européenne d’instaurer un mécanisme de répartition équitable des réfugiés. Au contraire, par leurs discours fondés sur le rejet de l’Autre, les national-populistes ont puissamment contribué à libérer la parole raciste en Europe. Des gouvernements ont construit des murs à leurs frontières avec des États tiers, conduisant à des situations tragiques.
Par ailleurs, réduire les questions migratoires à la seule question des réfugiés est une ineptie dangereuse. Les réfugiés sont une catégorie particulière de migrants qui fuient des situations dramatiques et sont à la recherche d’une protection à laquelle ils ont tout simplement droit en vertu des conventions internationales.
Les migrations ne se résument pas à l’asile. Dans un monde de plus en plus globalisé, la mobilité des personnes prend bien d’autres formes. Les migrations sont un facteur structurel et économique à l’échelle mondiale. N’en déplaise aux populistes, c’est un phénomène qui n’est pas près de s’arrêter. De plus, l’aggravation des catastrophes naturelles dues au changement climatique (sécheresses dans le Sahel, etc.) pousse de plus en plus de personnes à se déplacer.
Ne pas apporter de réponses à la question migratoire dans son ensemble menace à terme l’existence même de l’Union car la non-gestion actuelle fait reculer des acquis européens importants comme celui de la libre-circulation des personnes. Par ailleurs, transformer l’Europe en forteresse détourne l’Union de l’exigence de construire avec les pays du pourtour méditerranéen une politique de voisinage reposant sur des objectifs de paix, de prospérité partagée et de respect des droits humains.
Bien entendu, l’Union européenne ne résoudra pas seule la question des réfugiés. Mais l’Union doit prendre sa part de responsabilité.
Sachant en outre que les questions migratoires sont avec le changement climatique le défi mondial le plus pressant, l’Union doit aussi développer une politique générale des migrations et s’activer pour qu’à l’échelle mondiale une gouvernance des migrations se mette en place.
Laïques, nous considérons que l’absence d’une politique migratoire intégrée et respectueuse des droits humains est inacceptable. Cette absence constitue une atteinte à la dignité humaine.
Le Centre d’Action Laïque demande dès lors que les institutions européennes développent une véritable politique humaniste des migrations. À cet effet, en matière d’asile, il s’impose de:
- Développer une politique ambitieuse et ouverte, tenant compte du fait que le nombre de réfugiés va sans doute continuer à augmenter dans les années à venir. Il faut donc pouvoir anticiper leur accueil et leur intégration.
- Ouvrir des voies d’accès sûres et légales aux demandeurs d’asile, notamment en développant des moyens alternatifs permettant aux personnes de faire leur demande d’asile dans des pays tiers, afin d’éviter les violences subies lors de leur périple.
- Veiller au respect de l’interdiction des refoulements aux frontières (push-back). Chaque personne se présentant à la frontière d’un État de l’Union doit pouvoir déposer une demande d’asile.
- Coordonner les services de sauvetage en mer pour éviter les tragédies des naufrages de barques de migrants.
- Mettre en place sur le territoire européen des centres d’orientation et d’accueil pour les demandeurs d’asile.
- Réviser le règlement de Dublin en supprimant notamment la règle selon laquelle les réfugiés doivent introduire leur demande d’asile dans le pays par lequel ils ont accédé au territoire européen.
- Assurer la recevabilité de l’athéisme et autre forme de non croyance, tout comme de l’objection de conscience parmi les critères donnant droit à l’asile.
- Confirmer l’interdiction pure et simple de l’enfermement des enfants.
- Assurer une répartition équitable et solidaire entre États membres de l’Union, notamment par le biais des programmes de réinstallation.
- Favoriser l’intégration des personnes qui se sont vu reconnaître le droit d’asile.
- Cesser de déléguer la gestion des flux migratoires à des pays tiers qui ne respectent pas les droits humains fondamentaux. Dans le cas où de tels traités ont été conclus avec des États tiers, l’Union doit s’assurer, activement et effectivement, que ces États respectent les droits fondamentaux des personnes migrantes.
En matière de politique migratoire au sens large, nous demandons aux institutions européennes de:
- Développer de nouveaux canaux d’immigration vers l’Union européenne aux personnes qui ne sont pas en situation de bénéficier d’une protection particulière. C’est notamment parce que l’immigration économique est quasiment impossible en dehors de catégories particulières de travailleurs que la voie de l’asile est utilisée par des candidats à la migration.
- Contribuer de manière plus active à l’élaboration d’une gouvernance mondiale des migrations (dans leurs multiples dimensions), selon les principes figurant dans le Pacte mondial pour une migration sûre, ordonnée et régulée, adopté par les Nations unies en 2018.
Droits numériques
L’intelligence artificielle (IA) va encore évoluer de façon formidable, mais c’est dès à présent qu’il faut la guider dans des rails. Le Centre d'Action Laïque salue l’adoption du règlement européen sur les services numériques, qui permet de réguler les grandes plateformes, notamment les réseaux sociaux, et de combattre les discours de haine en ligne.
Les enjeux éthiques et plus largement démocratiques sont tels que les autorités politiques doivent trouver le juste milieu entre compétitivité et respect des valeurs fondamentales. Le Centre d'Action Laïque se félicite de l’avancée des négociations sur la proposition législative Artificial Intelligence Act, et de la position du Parlement européen sur ce sujet.
Nous nous prononçons en faveur de l’interdiction de la surveillance biométrique, de la reconnaissance des émotions, des systèmes d’IA de police prédictive, et des systèmes de type "crédit social".
En outre, nous proposons de structurer la réflexion sur l’IA autour des axes suivants:
- Un travail d’éducation et de sensibilisation des citoyens à l’échelle européenne sur la portée de ces nouveaux outils, les principes de leur conception, et la notion de risque acceptable – le risque zéro n’existant pas.
- Une incitation des travailleurs et de leurs représentants à participer à la conception et au développement de ces outils intelligents de façon à les améliorer et à en garder le contrôle.
- La promotion de la recherche visant à renforcer l’autonomie et la réflexivité des citoyens vis-à-vis de ces outils. Il peut par exemple s’agir d’interfaces permettant aux utilisateurs de modifier la pondération des critères utilisés et d’ainsi comprendre comment cette pondération peut conduire à des résultats très différents. Cela passerait par la transparence de la part des plateformes, notamment les réseaux sociaux.
Dans cette optique, le Centre d’Action Laïque appelle les institutions européennes à:
- Définir et adopter une législation européenne sur les IA (AI Act), qui assure que les IA soient centrées sur l’humain, éthiques, transparentes et non-discriminatoires. Leur usage doit en outre être sous contrôle humain, et leur développement encadré.
- Créer une Autorité européenne de sécurité et d’éthique de l’IA, qui aurait un rôle d’information des institutions et d’évaluation des risques. Cette Autorité travaillerait avec les universités, centres de recherche scientifiques et agences nationales, dans le but de donner une information fiable et de proposer des réglementations de ce secteur. Elle analyserait l’utilisation de l’IA par les autorités publiques et les grands groupes privés, et serait chargée de la gestion de systèmes de retour d’incidents, comme il en existe déjà dans des secteurs de haute technologie à risque (nucléaire, aéronautique), pour dépister d’éventuels problèmes de fiabilité de systèmes IA.
- Se baser sur le renforcement de la législation européenne commune pour diffuser des standards éthiques élevés à l’échelle mondiale.
- Combattre la fracture numérique.
- Résolution A/RES/59/201 de l’Assemblée générale des Nations unies, "Renforcement du rôle des organisations et mécanismes régionaux et autres en vue de promouvoir et de consolider la démocratie", 21 mars 2005.
- DUDH article 18, ICCPR article 18, CEDH article 9, Charte des droits fondamentaux article 10.
- Déclaration universelle des droits de l’homme, Commentaire général numéro 22.