Les propositions du Centre d'Action Laïque pour la Fédération Wallonie-Bruxelles
La mission de l’école est avant tout de former des citoyens capables de construire cette société que nous voulons plus juste et solidaire. Des citoyens libres, autonomes, émancipés. Pour ce faire, l’école doit leur donner les outils qui leur permettront de développer leur capacité d’analyse, leur esprit critique, leur volonté d’apprendre, d’échanger et de s’investir dans des projets individuels et collectifs, et ce, au regard des valeurs démocratiques qui nous rassemblent.
La Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) couvre près de 1.350.000 étudiants tous niveaux confondus, avec une hausse constante de la population scolaire. Si on y ajoute la part de budget qui y est allouée (près de 75% du budget global de la FWB), l’enseignement est un des enjeux majeurs de ces élections au niveau communautaire. Après la traversée de la crise sanitaire qui a éprouvé durement les systèmes d’enseignement, avec la mise en œuvre des différentes réformes du Pacte, avec des défis tels que la pénurie des professeurs, l’enseignement est à la croisée des chemins et se transforme profondément.
Dans le cadre des réformes en cours, le Centre d’Action Laïque entend soutenir l’enseignement en tant que service public. Il sera particulièrement attentif à ce que les mesures ne se fassent pas au détriment de l’enseignement public et neutre, porté par les valeurs de pluralisme, de tolérance et de liberté. Le Centre d’Action Laïque soutiendra la poursuite de cette réforme à condition qu’elle rencontre toujours les ambitions exprimées dans ce mémorandum.
Une école publique, égalitaire et gratuite
Le premier levier de la lutte contre les inégalités sociales est indéniablement l’éducation scolaire. L’école est et doit rester un outil de promotion sociale, même si elle ne remplit pas encore suffisamment cette fonction. La reproduction et le renforcement des inégalités sociales et économiques par l’école reste une réalité confirmée par tous les indicateurs de l’enseignement, communautaires (ETNIC) ou internationaux (PISA, OCDE, UNICEF).
La première étape vers l’égalité doit être garantie par l’accès pour chaque enfant à une école publique et neutre, à une distance raisonnable de son domicile.
Le Centre d’Action Laïque recommande de:
- Tendre vers un réseau unique d’enseignement réunissant toutes les écoles, tous réseaux confondus. Cela permettrait de promouvoir la solidarité entre les établissements, plutôt que d’entretenir un quasi-marché scolaire, facteur de ségrégation scolaire. Pour ce faire, le rapprochement et les collaborations entre réseaux doivent être systématiquement envisagées lors de tout projet ou mise en œuvre de réforme.
- Poursuivre la tenue d’un cadastre précis de l’offre de places sur l’ensemble de la Fédération Wallonie-Bruxelles pour tous les niveaux/types d’enseignements et l’identification des zones en tension démographique (là où la demande dépasse l’offre de places), et soutenir la création de places en temps et en heure dans les zones en tension.
- Assurer une offre suffisante et de qualité d’un enseignement neutre et public sur l’ensemble du territoire de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
- Assurer la transparence et l’équité des processus d’inscription à tous les niveaux d’enseignement.
- Veiller à ce que le plan de rénovation des bâtiments scolaires, ou toute autre réforme, ne lèse pas l’enseignement public au profit de l’enseignement privé.
En matière d’égalité, tout en étant conscient que des mesures ambitieuses d’accompagnement seront nécessaires, le Centre d’Action Laïque formule les recommandations suivantes:
- Mettre en place un réseau public unifié de centres psycho-médico-sociaux (CPMS) tenant compte de la diversification des trajectoires scolaires d’élèves qui passent actuellement d’un réseau à l’autre au cours de leur cursus.
- Poursuivre et renforcer la mise en œuvre des politiques ambitieuses visant à réduire, et à supprimer à terme, le redoublement dans le cadre du tronc commun garantissant l’acquisition d’un socle d’acquis (savoirs, savoir-faire et compétences) pour toutes et tous.
- Mettre en œuvre les réformes liées à la réorganisation de l’enseignement qualifiant afin que celui-ci procède d’un choix de l’élève et non plus d’une forme de relégation.
La gratuité de l’enseignement est inscrite dans l’article 24 de la Constitution. Sa non-application est régulièrement dénoncée comme une infraction à la Convention des droits de l’enfant, ratifiée par la Belgique en 1989.
Le Centre d’Action Laïque demande donc de poursuivre les mesures en faveur de la gratuité effective et totale de l’école, en demandant comme mesures intermédiaires de:
- Garantir un repas chaud de qualité (bon, local, sain et durable) à prix réduit et plafonné pour tous les élèves.
- Distribuer des collations saines et gratuites dans l’enseignement maternel, primaire et secondaire (potage et/ou fruits locaux et de saison).
- Faire un état des lieux des bonnes pratiques de terrain qui permettent de renforcer la gratuité scolaire au sein des établissements.
- Assimiler la pause de midi à du temps scolaire et la rendre, par ce fait, totalement gratuite.
- Renforcer l’inspection liée au respect des règles de gratuité, notamment en ce qui concerne les faux frais d’inscription.
- Poursuivre la politique des fournitures scolaires gratuites utiles aux apprentissages, en ce compris le matériel informatique et/ou lié aux filières techniques et professionnelles.
- Assurer, au sein même de l’école, la remédiation scolaire afin d’éviter la marchandisation de ladite remédiation.
- Garantir l’accès pour tous les parents à l’information en matière d’aide sociale/financière et conscientiser le personnel enseignant et administratif à la gratuité scolaire.
- Rendre l’extrascolaire accessible financièrement, notamment au regard du nouveau calendrier scolaire, en particulier pour les publics précarisés et les familles monoparentales.
Une école démocratique, inclusive et de bien-être
Le projet d’une école inclusive doit permettre d’accueillir la diversité à l’école, quelle qu’elle soit, comme un reflet de la société. Ce projet d’école inclusive va de pair avec le refus d’un modèle ségrégatif. Soit une école pour toutes et tous.
Le Centre d’Action Laïque demande:
- Poursuivre les efforts de prise en compte et d’accueil de la diversité des publics scolaires en fonction notamment des critères:
- socio-économiques
- de genre et de sexe
- culturels
- de formes familiales (familles recomposées, monoparentales, homoparentales…)
- de troubles d’apprentissage
- de handicaps.
- Plus spécifiquement, systématiser la prise en compte de l’impact "genre" des politiques éducatives et prendre en compte la réalité de la transidentité au sein de la vie de l’école (organisation des toilettes et des vestiaires notamment).
- Lutter contre l’hétéronormativité et les discriminations visant les LGBTQIA+, en particulier dans les cours impliquant le corps.
- Poursuivre les avancées vers une école intégrative pour les élèves porteurs d’un handicap (troubles de l’apprentissage, handicap léger).
- Prévoir dans les cantines scolaires une alternative végétarienne afin de répondre le plus largement possible aux demandes particulières.
- Garantir l’accès à l’école aux enfants en situation irrégulière (migrants, MENA, gens du voyage…) en offrant un service d’accompagnement à la recherche d’école.
- Renforcer les dispositifs spécifiques (français langues étrangères, DASPA…) dédiés aux élèves (migrants ou autres) qui ne maîtrisent pas la langue d’enseignement et/ou n’ont pas ou peu été scolarisés avant d’intégrer le système d’enseignement de la FWB.
La crise Covid a durement éprouvé les élèves et les a impactés psychologiquement. Les chiffres faisant état de troubles psychologiques et de décrochage sont en constante augmentation, comme ceux liés au harcèlement scolaire. L’école doit être un lieu de bien-être où les élèves se sentent accompagnés, écoutés et en sécurité. Afin de restaurer un climat serein pour les élèves, le Centre d’Action Laïque demande de:
- Rendre structurelles les politiques de prévention liées à la lutte contre le harcèlement.
- Renforcer la présence et le rôle des CPMS au sein des établissements, afin d’accompagner au plus près les élèves victimes de troubles psychologiques.
- Développer une réelle politique de prévention en milieu scolaire (obligatoire et supérieur) en matière de santé mentale.
- Renforcer la lutte contre le décrochage scolaire au niveau des moyens humains.
L’école doit non seulement outiller les jeunes en matière de savoirs, savoir-faire et compétences, mais aussi former les citoyens de demain. Elle ne peut le faire sans pratiquer elle-même la démocratie et la participation.
Le Centre d’Action Laïque porte les recommandations suivantes:
- Renforcer la démocratie scolaire, en incluant les élèves et les parents.
- Articuler le cours de philosophie et de citoyenneté (CPC) à l’exercice concret et réel de la démocratie scolaire.
- Renforcer la participation des élèves à la démocratie (représentation au niveau des communes, des régions et de la Fédération Wallonie-Bruxelles).
- Renforcer les appels à projets à destination des associations qui promeuvent la formation citoyenne des élèves.
- Renforcer le partenariat parents-écoles via les associations de parents affiliées à la Fédération des Associations de Parents de l’Enseignement Officiel (FAPEO) et autres structures de concertation (conseil de participation et instances de pilotage).
L’ensemble de toutes ces mesures ne peut se faire sans une revalorisation du métier d’enseignant, notamment en faisant passer la formation initiale des enseignants de 4 à 5 ans.
Par ailleurs, l’émancipation par l’école ne s’arrête pas au terme de l’enseignement obligatoire. Toutes les questions d’égalité, d’inclusion et d’ouverture démocratique doivent également être traitées au niveau de l’enseignement en alternance (CEFA) et de l’enseignement supérieur, universitaire ou non.
L’enseignement supérieur et universitaire, s’il est en principe ouvert à toutes et tous, reflète plus encore que l’enseignement obligatoire les inégalités sociales de départ. La précarité de certaines catégories d’étudiants mérite une attention particulière, ainsi que le coût des études (matériel, logement…). La prostitution étudiante est à cet égard symptomatique.
Le Centre d’Action Laïque demande au futur gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles de:
- Mettre en place une réflexion globale et des mesures adaptées concernant les coûts liés à l’accès aux études supérieures et aux inégalités qui en découlent.
- Ouvrir une large réflexion sur la pauvreté étudiante au sein des universités et hautes écoles (coût du matériel, logement, précarité alimentaire…).
- Traiter de la thématique du non-accès et du non-recours aux droits sociaux des étudiants en renforçant l’information auprès de ce public spécifique.
- Analyser la problématique de la prostitution étudiante et proposer des réponses adaptées.
- Ouvrir l’enveloppe fermée relative au financement de l’enseignement supérieur en Fédération Wallonie-Bruxelles.
- Défiscaliser totalement la recherche scientifique au sein de l’enseignement supérieur.
- Favoriser l’accès des personnes issues de la diversité à des bourses de recherche.
- Valoriser et renforcer l’accès à l’enseignement de promotion sociale (PROMSOC) pour tout adulte désireux de se former ou de se réorienter.
Une école émancipatrice
La société d’aujourd’hui et les troubles qu’elle connaît invitent plus que jamais à former les jeunes à l’autonomie intellectuelle et à l’acquisition d’une pensée critique. La formule actuelle d’une période hebdomadaire de cours de philosophie et de citoyenneté (CPC) + une période facultative en lieu et place d’une des 6 options convictionnelles est une absurdité organisationnelle et pédagogique.
Afin de former les jeunes à l’autonomie intellectuelle et à l’acquisition d’une pensée critique et de créer un espace commun où penser et construire le vivre-ensemble dès le plus jeune âge, par-delà les convictions privées, le Centre d’Action Laïque formule les recommandations suivantes:
- Mettre en œuvre la résolution parlementaire qui vise à instaurer, par décret, deux heures de cours de philosophie et de citoyenneté pour tous les élèves dans le cadre de la scolarité obligatoire, quel que soit le réseau d’enseignement.
- Rendre facultatifs, par décret, les cours de religion et de morale (hors grille horaire obligatoire et hors tronc commun).
- Mettre en place une véritable inspection relative au cours de philosophie et citoyenneté.
- Garantir en toute transparence, via l’ARES, que les hautes écoles et universités offrent une formation de qualité et en suffisance aux candidats enseignants du cours de philosophie et de citoyenneté.
En ce qui concerne l’éducation aux médias, le Centre d’Action Laïque demande de:
- Élaborer et mettre en place une réelle éducation aux médias et au numérique, s’inscrivant tout au long de la scolarité, qui pratique le libre examen et prépare les élèves à être des citoyens critiques, responsables, capables de contribuer au développement d’une société démocratique, solidaire, pluraliste, interculturelle.
- Poursuivre la formation des enseignants aux TIC.
- Tenir compte, dans ces matières, de l’expertise et des recommandations du Conseil Supérieur de l’Éducation aux Médias (CSEM) de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
La liberté et l’émancipation de chacun ne peuvent être garanties sans une formation à la santé et aux droits sexuels et reproductifs. Cette éducation sexuelle est non seulement recommandée par des nombreuses instances internationales (OMS, UNESCO, IPPF, ENOC, Conseil de l’Europe…), mais également par des organismes nationaux (UNIA (1), DGDE, la Plateforme EVRAS (2)).
En ce qui concerne l’éducation sexuelle, intégrée depuis 2012 dans les missions générales de l’enseignement sous l’acronyme EVRAS (Éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle) et dont le début de généralisation a été instaurée durant l’année scolaire 2023-2024, le Centre d’Action Laïque porte les recommandations suivantes:
- Définir précisément l’EVRAS et ses objectifs dans le décret "Missions", en lien avec l’accord de coopération de 2023.
- Renforcer et poursuivre la généralisation de l’EVRAS tout au long de la scolarité, depuis l’école maternelle, jusqu’à la fin de l’enseignement secondaire, puis en le prolongeant par des dispositifs dans les CEFA, les hautes écoles et les universités.
- Garantir, tout au long de la scolarité, un égal accès à une information juste, précise et complète en matière d’EVRAS, quels que soient l’école, le réseau, la filière ou le milieu socioculturel dont les élèves sont issus, en ce compris en matière de droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG).
- Mettre sur pied un cadastre inter-réseaux qui offre une vision claire de l’état de la généralisation en milieu scolaire.
- Encourager les hautes écoles, les écoles supérieures des arts et les universités à proposer une formation EVRAS spécifique (option ou master complémentaire) pour les futurs animateurs et enseignants.
En matière d’assuétudes, le Centre d’Action Laïque demande de:
- Renforcer les dispositifs de prévention des assuétudes et des consommations en milieu scolaire au niveau fondamental et secondaire dans une démarche émancipatrice.
- Inclure dans ces dispositifs de prévention une démarche de réduction des risques relative à la consommation d’alcool et de cannabis.
- UNIA, Baromètre de la diversité Enseignement, février 2018.
- Réunissant les associations suivantes: CHEFF (Fédération des jeunes LGBTQI), CPF – FPS (Centres de planning familial des Femmes Prévoyantes Socialistes), Comité Belge Ni Putes ni Soumises, FCPC (Fédération des Centres de Planning et de Consultations), FCPPF (Fédération des Centres Pluralistes de Planning Familial), FLCPF (Fédération Laïque des Centres de Planning Familial), Inter-CLPS wallon (Centres locaux de promotion de la santé), Latitude Jeunes, Centre Régional du Libre Examen, Plateforme Prévention Sida, Université des femmes.