Pour l'État fédéral
À chaque époque étudiée, il n’y pas de lien direct entre la criminalité et la population carcérale mais toujours un lien avec un indicateur socio-économique. Une société mal en point au niveau socio-économique a tendance à se raidir. Il faut donc sortir de l’idée que l’augmentation de la population carcérale répond à une série de faits eux-mêmes en augmentation.
Depuis de nombreuses années, le mouvement laïque mène des actions individuelles et collectives au sein et en dehors des prisons. Ces actions s’inscrivent dans une réflexion plus globale menée par le Conseil Central Laïque et ses partenaires sur la politique pénitentiaire et le système carcéral belge qui prévalent aujourd’hui et qui heurtent de front un bon nombre de valeurs démocratiques et laïques.
Plus de 11.390 personnes sont détenues dans les prisons belges alors que la capacité moyenne est de 9.930 places. Bien que la capacité ait doublé depuis les années 1980, le taux de surpopulation avoisine les 116% en moyenne. Cette surpopulation est endémique et structurelle alors que la criminalité est globalement en baisse (1).
Les causes principales de cette surpopulation sont multiples et bien connues: recours trop important à la détention préventive et à la peine privative de liberté en général, allongement des peines et extension du filet pénal, insuffisance des libérations anticipées comme la libération conditionnelle par exemple.
Dans la majorité des établissements pénitentiaires, les conditions de détention sont déplorables et le peu de formations, de possibilités de travail et de projets préparant à la sortie rendent très difficile la réinsertion de ces personnes dans la société et donc la non-récidive (2). Par ailleurs, la Belgique se fait condamner, à intervalle régulier, par divers organes européens et internationaux de protection des droits de l’homme (CEDH, Comité anti torture de l’ONU, Comité européen de prévention de la torture et des traitements inhumains ou dégradants du Conseil de l’Europe (3)), sans opérer ensuite de véritables changements.
Malgré ces chiffres, l’État refuse de changer de paradigme notamment en réformant en profondeur le Code pénal afin que la peine de prison ne puisse être prononcée qu’en dernier ressort et que les alternatives à la détention soient véritablement investies. Par ailleurs, l’État continue de construire de nouvelles prisons (via les divers Master Plan des dernières années) qui augmentent de manière très importante le parc carcéral via des partenariats publics-privés.
Le Centre d'Action Laïque recommande de:
- Réformer en profondeur le Code pénal, la législation relative au casier judiciaire et l’application de la loi sur la détention préventive dans une optique réductionniste (notamment moins d’infractions et moins de peine de prison, comme pour certains faits liés à la drogue par exemple, donc moins d’enfermement).
- Développer les alternatives à la prison telles que les peines alternatives, la médiation ou la justice restauratrice qui permet la prise en compte des victimes.
- Arrêter l’expansion du parc carcéral et abandonner les futurs projets de construction de maxi-prisons.
- Limiter strictement le prononcé d’une mesure d’internement aux personnes atteintes d’un trouble mental et fermer toutes les annexes psychiatriques carcérales du pays en transférant tous les internés vers des centres de psychiatrie légale afin de soigner ces personnes atteintes de maladies mentales.
- Rénover les anciennes prisons en privilégiant la création de petites unités de vie, basées sur les modèles hollandais et scandinaves (plus spécifiquement suédois et finlandais) et les prisons ouvertes ou semi-ouvertes avec formation et travail en extérieur (comme le centre pénitentiaire de Ruiselede par exemple).
- Permettre au Parlement ou à un organe de contrôle externe de contrôler de manière effective les investissements de la Régie des bâtiments en matière pénitentiaire et en particulier au sujet des partenariats publics-privés.
- Soutenir le développement de projets pilotes relatif aux maisons de détention et aux maisons de transition (sur base du modèle "de Huizen") sans extension du filet pénal.
- Encourager la réinsertion des personnes détenues par le biais des droits consacrées par la loi de principe du 12 janvier 2005 (plan de détention individuel, vie en communauté, travail pénitentiaire), d’un meilleur suivi psychosocial des services internes et d’une augmentation de leur cadre, de formations qualifiantes et certificatives, de remises de peine en cas de réussite de formations de base, etc.
- Renforcer les services d’aide aux détenus et plus globalement les services externes qui entrent en prison et en particulier ceux qui s’occupent du maintien du lien entre les parents détenus et leurs enfants.
- Entamer une analyse genrée de la condition carcérale et réglementer la détention des femmes enceintes et des jeunes mères.
- Tenir compte des différentes recommandations déjà formulées par UNODC, du Conseil de l’Europe et d’associations belges dans la mise en place d’une politique pénitentiaire.
- Mettre en place un mécanisme national de prévention de la torture (MNP) indépendant d’un organe de médiation ou gestion du droit de plainte, la Belgique ayant signé le protocole facultatif de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en 2005 et s’étant alors engagée à le ratifier.
- Améliorer les moyens et les missions des commissions de surveillance des prisons, améliorer les formations des commissaires et les rémunérer pour leur travail.
- Garantir le respect des décisions rendues par les commissions des plaintes et d’appel.
- Valoriser les multiples études criminologiques (notamment de l’Institut national de criminalistique et de criminologie) relatives à la peine, à la détention et à l’enfermement et en réaliser davantage, notamment sur le profil socio-économique des détenus et la récidive.
- Procéder à une analyse d’impact des nouvelles technologies de surveillance des détenus sur les personnes (bracelet électronique / "prison cloud").
- Améliorer la coordination entre la Communauté française et l'État fédéral de manière effective et organiser, régulièrement, une coordination structurée entre les divers acteurs du monde pénitentiaire (judiciaire, administratif, scientifique, association d’aide aux détenus).
- Augmenter le cadre des conseillers moraux en prison et adopter un arrêté royal relatif à l’exercice de leur fonction (sur le plan des droits sociaux et des conditions pécuniaires). Pour rappel, actuellement, sur les 74 ETP (équivalents temps plein), il n’y a que 9 ETP conseillers moraux pour les 35 établissements pénitentiaires.
- Respecter et améliorer le cadre de travail du personnel pénitentiaire
- Au niveau des détenus radicalisés, analyser et mieux comprendre les causes ainsi que les référentiels multiples et complexes qui produisent et reproduisent de la radicalisation à l’intérieur et à l’extérieur des prisons et renforcer l’assistance psychosociale et l’assistance morale et religieuse de ces détenus; renforcer la formation des agents sur ce thème.
- Au niveau du casier judiciaire, favoriser l’intégration au travail des personnes judiciarisées et multiplier les mesures de suspension du casier judiciaire afin d’aider les anciens détenus dans leur recherche d’emploi et favoriser les mesures d’effacement légal automatique de certaines condamnations ainsi que les mesures de réhabilitation légale par l’assouplissement des conditions et des délais.
- Supprimer la double peine pour les détenus étrangers avec ou sans titre de séjour.
- Transférer la compétence des soins de santé dans les établissements pénitentiaires vers le ministre de la Santé publique
- Respecter les dispositions de la loi du 23 mars 2019 relatives à la continuité du service pénitentiaire en cas de grève et garantir des effectifs d’agents en suffisance et ce, même en cas d’absentéisme.
- Garantir l’exercice des droits des personnes détenues tels que le droit à l’information, le droit de vote, le droit à la sexualité, le droit à la culture, etc.
- Améliorer l’encadrement en matière de droit du travail en prison et l’accès à la caisse d’entraide.
- Renforcer la publication de statistiques et de chiffres concernant la population carcérale, notamment via les rapports annuels de la Direction générale des établissements pénitentiaires (DGEPI) et la mise en place d’un observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP)
- Adopter des mesures permettant de respecter le genre de la personne incarcérée.
- Voir Statistiques policières de criminalité de la police fédérale – Belgique – 2000 – trimestre 3 2022
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Voir l’étude d’Eric Maes et Luc Robert sur la réincarcération des détenus après leur sortie de prison. (INCC, 2012)
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Voir notamment CEDH 2014, arrêt VASILESCU, condamnation de la Belgique pour non-respect des conditions de détentions (l’espace de détention minimal, hygiène, etc.); CEDH 2017, arrêt SYLLA et NOLLOMONT et décisions de tribunaux de première instance; CEDH 2019, arrêt CLAESENS; CEDH 2019 arrêt ROOMAN, condamnation de la Belgique pour une insuffisance de soins octroyés à une personnes internées. Voir dernier rapport du CPT suite à des visites effectuées en novembre 2021 (CPT/Inf (2022) 22).