Pour l'Union européenne
Ces dernières années, un recul important de l’État de droit se constate dans un nombre important d’États européens. Qu’il s’agisse des cas bien connus de la Pologne ou de la Hongrie ou de situations préoccupantes dans d’autres États, en ce compris chez nous en Belgique, le régime des libertés est mis à mal. Le principe de laïcité, condition de démocratie en tant que garantie du respect des droits et des libertés, ne peut être mis en œuvre dans un régime politique qui ne serait pas démocratique.
Pour les laïques, la préservation de l’État de droit et de la démocratie est donc la première préoccupation sur le plan européen. Nous ne pourrons plus promouvoir la laïcité si la démocratie est affaiblie.
Le Centre d’Action Laïque considère donc comme absolument prioritaire de renforcer les instruments européens de lutte contre les atteintes à l’État de droit et à la démocratie. L’arsenal en la matière doit être aussi solide que celui qui permet de sanctionner les États pour la taille de leur déficit public ou le niveau de leur dette.
Concrètement, le Centre d’Action Laïque invite les institutions européennes à:
Mettre en place un mécanisme permanent de monitoring de la démocratie dans les États membres
Le monitoring de l’état de droit, mis en place par la Commission, est un grand progrès pour la promotion de ce principe dans les États membres de l’Union. Ce monitoring devrait être élargi aux droits fondamentaux et à la démocratie. Ce mécanisme permettrait de comparer le respect des éléments essentiels de la démocratie (1):
- Respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, notamment la liberté d’association et de réunion pacifique, la liberté d’expression et d’opinion.
- Le droit de participer à la conduite des affaires publiques, directement ou par l’intermédiaire de représentants librement choisis, de voter et d’être élu dans le cadre d’élections équitables, périodiques et libres, au suffrage universel et égal et au scrutin secret garantissant la libre expression de la volonté populaire.
- Système pluraliste de partis et d’organisations politiques.
- Séparation des pouvoirs.
- Transparence et obligation pour l’administration publique de rendre des comptes.
- Médias libres, indépendants et pluralistes. Garantie de neutralité et pluralisme des médias publics. Médias privés indépendants (cf. plus bas sur lutte contre la concentration des médias)
- Égalité femme-homme, non-discrimination envers les personnes LGBTQIA+
- Droits des femmes, y compris les droits et la santé sexuels et reproductifs.
Les résultats de ce monitoring devront être discutés tant au sein des parlements nationaux qu’au Parlement européen pour ensuite être examinés par le Conseil des ministres de l’Union européenne dans le cadre de son dialogue annuel sur l’état de droit. Le cas échéant, il constituerait une base solide sur le plan juridique et légitime sur le plan politique dans la perspective de l’adoption de sanctions. En tout état de cause, les institutions devraient réagir rapidement à une dégradation de l’état de droit, démocratie et droits fondamentaux.
Le Centre d’Action Laïque propose de:
- Adopter une clause de non-retour en arrière (principe de non-régression) en matière de droits fondamentaux (dans un texte liant les institutions et les États). Toute mesure étatique représentant une régression en matière de droits humains doit faire l’objet d’une réaction des institutions (recours en manquement le cas échéant, mise en œuvre de la conditionnalité).
- Introduire une obligation de réagir des institutions politiques de l’Union en cas de constatation de violations graves.
- Lutter efficacement contre les campagnes de déstabilisation menées par des régimes dictatoriaux. La mise en place d’une commission parlementaire sur ce sujet est une étape essentielle. Ses conclusions doivent être analysées et prises en compte par les institutions.
- En particulier, mieux contrôler les médias d’État de régimes dictatoriaux émettant dans l’Union européenne.
Conditionner l’octroi de budgets européens au respect de la démocratie et de l’État de droit
Le Règlement européen "relatif à un régime général de conditionnalité pour la protection du budget de l’Union", entré en vigueur en 2021, est une grande avancée pour lutter contre les atteintes graves à l’État de droit par les autorités d’un État membre.
Cependant, pour garantir le respect des valeurs de l’Union (article 2 TUE), la conditionnalité devrait être interprétée de manière extensive et être appliquée dans tous les cas de violation grave ou durable de l’état de droit, de la démocratie et des droits humains.
Le Parlement devrait avoir un pouvoir d’initiative pour la mise en œuvre de ce mécanisme de conditionnalité et utiliser son pouvoir de contrôle politique de la Commission pour veiller à son respect.
Concernant la Présidence du Conseil de l’Union européenne, un État contre lequel la procédure de l’article 7 a été mise en œuvre perd son droit de présider le Conseil.
Mieux utiliser les voies judiciaires
Le contrôle judiciaire du respect par les États membres de l’État de droit et des droits fondamentaux semble pour l’instant compliqué dans la mesure où les États membres ne sont liés par la Charte des droits fondamentaux que lorsqu’ils appliquent le droit européen. Cette vision restrictive des compétences judiciaires de l’Union européenne pose question. En effet, le processus d’intégration européenne repose sur une interdépendance croissante qui touche aux fondements de l’ordre constitutionnel de chacun des États membres. La violation par l’un d’entre eux des droits fondamentaux a un impact direct sur les autres.
En outre, le fait de tolérer de telles violations mine la légitimité et l’effectivité des décisions prises en commun. En d’autres mots, intervenir pour protéger l’État de droit ou la démocratie est nécessaire pour protéger le fonctionnement de l’espace d’interdépendance créé par le droit européen.
Le Centre d’Action Laïque salue les grands progrès ayant eu lieu ces dernières années, avec notamment la conditionnalité du budget européen (v. point supra). Cependant, il est possible que l’Union soit plus ambitieuse pour protéger la démocratie et les droits humains en Europe. Le Centre d’Action Laïque invite les responsables européens à examiner toutes les possibilités juridiques pour attraire devant la Cour les États défaillants et à intervenir de façon systématique afin de créer les précédents utiles.
Le Centre d’Action Laïque propose également que la Belgique, éventuellement en accord avec d’autres États, use des voies judiciaires pour protéger les droits fondamentaux en Europe, dans le cadre de recours interétatiques, devant la Cour de justice de l'Union européenne (article 259 TFUE) et la Cour européenne des droits de l’homme (article 33 CEDH), le cas échéant.
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Résolution A/RES/59/201 de l’Assemblée générale des Nations unies, "Renforcement du rôle des organisations et mécanismes régionaux et autres en vue de promouvoir et de consolider la démocratie", 21 mars 2005.